Je ne sais pas aller à l’usine Chaffoteaux et Maury.

Publié le par François Daniel

Je ne sais pas aller à l’usine Chaffoteaux et Maury. Vingt ans à St Brieuc et je ne connais pas l’itinéraire. Les mondes sont séparés. Nous nous en accommodons. Le chemin pour les courses, pour le loisir, pour l’école, pour le travail, pour dormir, le chemin habituel pour manifester, le chemin pour se faire des amis, nos routes sont imprimées comme des rails à nos pieds.

Sur le parcours d’avant manifestation, il y a de petits groupes réunis qui attendent au bord d’un carrefour, près d’un drapeau, à côté d’une voiture aux fenêtres ouvertes comme pour une fête cycliste.

 C’est la même fierté qu’il y avait avant dans ce sport, l’effort, le savoir faire valorisé, le combat mano à mano de rudes travailleurs du guidon et de la pédale, la lutte et la sueur face à des cols infranchissables, à des descentes impossibles. Des cyclistes aux visages d’ouvriers sortant de l’écume d’un four. Frères d’effort et d’exploitation.

 C’est la même dignité qu’il y a avec ces salariés qui marchent pour encore une course avec leurs banderoles et autocollants au cœur. Ici, il n’y a pas de lots de consolation.

 C’est la même indignité qu’il y a à présent avec ces usines à sport aux cyclistes  marqués du fer de la réclame, recouvert de slogans d’entreprises. Ces usines à sport qui vendent leur sang, leur santé, leur jeunesse au commerce.

 C’est la même indignité qu’il y a à présent dans ces chefs d’entreprises dont les actions augmentent quand ils licencient. Un costume H.B pour un salarié licencié. Une piscine supplémentaire sur mon yacht contre cent salariés à la porte.

 

Y a- t- il une école internationale des patrons indignes ? Où ils apprennent le peu de poids d’une existence et le poids de l’argent.

Y a-t-il une école des patrons indignes ? où les professeurs donnent des cours de mensonges, comment utiliser sa langue à l’endroit et à l’envers.

 

Il fait si beau, il fait si triste. Trois cents personnes au soleil qui marchent. Ça licencie partout comme une foudre folle qui brûle toutes les maisons du village, ça ferme, ça casse, ça met dehors, ça prive de salaire, ça fait peur, ça fait taire.

 

Les drapeaux passent, les gens passent, le moment de la protestation tient sur trois cents mètres. 300 mètres de gens c’est facile à liquider et ça peut passer inaperçu. Et c’est ainsi qu’il est pratiqué partout en France, par petit, moyen, gros groupes : on efface des vies de gens, on liquide sans trop de bruit, quelques mètres de gens, de vies de famille.

 

Trois cents mètres d’humains différents même avec des hauts parleurs ce n’est pas très bruyant et de toute façon les oreilles responsables sont trop loin pour entendre. Elles dorment tranquillement les oreilles responsables sur leur oreiller, ou veillent dans leurs bureaux insonorisés et climatisés. Et c’est ainsi que c’est organisé, ceux qui licencient en Italie habitent en France, aux USA, en Inde, ceux qui licencient en France ont leurs sièges ou leurs boîtes postales en Italie, aux USA, à Jersey ou en Russie…

 

Plus rien de palpable, plus de lien physique, plus de responsable. Plus de patrons à séquestrer. Plus que des sous fifres, des prêtes- noms, des liquidateurs en costume. Plus personne à qui s’adresser, faire céder. Le boxeur gréviste travailleur boxe dans le vide, dans l’invisible et pourtant réel pouvoir.

 

 De la magie.

 Les patrons n’existent plus tout en existant, disparus ? ils sont délocalisés, ils sont multiples et insaisissables, invisibles, irresponsables « ce n’est pas nous, vous savez les actionnaires… » « ce n’est pas nous vous savez la crise » « ce n’est pas nous vous savez la conjoncture n’est pas très favorable dans le cadre du réchauffement climatique à la vente de chauffe-eau » « ce n’est pas nous vous savez mais vous coûtez tellement cher face aux autres travailleurs dans d’autres pays que nous ne payons vraiment pas cher ».

 

Les patrons d’autrefois, vivaient dans la ville, n’étaient pas tendres, se faisaient élire maire, député. Ils étaient d’un territoire.Leurs intérêts propres étaient que la communauté usine et ville fonctionne.

 Le patron d’aujourd’hui est international, spatial. Son territoire est l’invisible, il n’habite nulle part. Cette absence est organisée, pensée.

Plus personne à qui demander des comptes en sonnant à sa porte au petit matin.

 

Nous sommes dans le temps de la désolation. Tout le monde pleure mais personne ne peut plus rien. Cette impuissance est organisée, pensée. Les larmes ne sont pas dangereuses pour les transactions commerciales.

 

On s’habitue aux gens dans la rue, aux licenciements, aux protections pour les plus faibles abandonnées, aux dents plus soignées faute d’argent.

On s’habitue à ne plus avoir la parole, à ne plus avoir aucun pouvoir, à ce qu’il n’y a plus personne de concerné.

L’habitude est un poison qui paralyse.

 Il y a des grandes seringues d’habitude au coin des journaux, des télévisions qui versent dans nos yeux la même information, la même actualité, les mêmes nouvelles.

 

Tout devient commun, l’inadmissible d’hier devient l’admissible d’aujourd’hui.

 Tout devient normal. Les salaires à cent fois le salaire minimum, les hommes politiques assumant de ne plus avoir de pouvoir, les hommes politiques n’ayant plus le projet de changer l’inadmissible puisqu’il est devenu digérable, quotidien.

Et pourtant ils ont le pouvoir.

 

Comment être révolté chaque jour, cent, mille fois par jour puisque c’est la vitesse actuelle de l’inadmissible. Tant à dénoncer chaque jour et si peu de temps personnel d’insurrection . Chaque jour se réserver un moment. Chaque jour penser autrement. Chaque jour créer du neuf.

 

Olivier Couqueberg

 

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D
Blogs are so informative where we get lots of information on any topic. Nice job keep it up!!
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D
bravo pour votre lutte et vos méthodes originales, j'anime un nouveau blog sur toutes les résistances,si vous voulez faire passer une info aucun problème./<br /> J'ai fait un petit article sur vous aujourd'hui.<br /> Bon courage, dans l'attente de la sortie de votre calendrier<br /> dan pour <br /> danactu-resistance.over-blog.com
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B
Pour soutenir votre action je voudrais acheter votre calendrier : comment faire?<br /> Merci et bon courage.
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D
Salut à tous,<br /> Alors que j'étais étudiant en IUT à brest, j'ai eu l'ocasion de visiter votre usine, puis quelques semaines après de suivre par la presse un mouvement de grève à Chaffoteaux. C'était en 1971 ou 72.<br /> Maintenant je suis guide de haute montagne dans la vallée de Chamonix et je suis avec beaucoup d'attention et d'émotion votre combat. <br /> C'est grâce à des luttes comme la vôtre que peut-être on arrivera à inverser le cours des choses et redistribuer un peu plus équitablement les richesses produites.<br /> Bon courage et bravo à vous tous.<br /> Gérard, 58 ans.
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A
Je diffuse votre information et met un lien sur mon blog.<br /> Bon courage solidaire
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